Une équipe internationale a mis plus de dix ans pour créer le premier modèle mathématique de la conscience incarnée.
La psychologie d’un être humain dépend d’un grand nombre de paramètres émotionnels et motivationnels, comme le désir, la souffrance ou le besoin de sécurité. Les dimensions spatiale et temporelle jouent aussi un rôle fondamental pour justifier nos prises de décisions et planifier nos actions.Des chercheurs de plusieurs pays emmenés par l’Université de Genève ont développé un modèle mathématique de la psychologie humaine. Il permet de prédire et d'analyser les comportements humains, normaux ou pathologiques.
Des chercheurs provenant notamment des Universités de Genève (UNIGE), du Texas, de Paris 7 et du University College de Londres se sont associés pour créer le premier modèle mathématique de la conscience incarnée.
Cette équipe emmenée par David Rudrauf, de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’UNIGE, a voulu produire une théorie psychologique fonctionnant selon le modèle développé par les sciences dures. Plus de dix ans de recherches, mêlant mathématiques, psychologie, neurosciences, philosophie, informatique et ingénierie, ont été nécessaires.
Géométrie projective : De nombreux paramètres, conscients et inconscients, se télescopent sans cesse lors de chaque prise de décision. «Nous avons construit un modèle qui permet justement de reproduire une prise de décision en fonction du moment, du cadre et des perceptions réelles et imaginaires qui y sont liées», explique le Pr Rudrauf, cité mercredi dans un communiqué de l'UNIGE.
Ce «Modèle de Conscience Projective» permet l’analyse des comportements possibles en fonction des événements. «La perception, l’imagination et l’action sont soutenues par des mécanismes inconscients et nous avons découvert que la conscience les intègre à travers une géométrie spécifique: la géométrie projective», explique Daniel Bennequin, professeur au Département de mathématiques de l’Université de Paris 7.
Les chercheurs sont partis d’une synthèse des phénomènes psychologiques, incluant des phénomènes perceptifs de base, par exemple l’illusion que des rails de train convergent au loin, alors qu’ils sont en réalité parallèles. Ils ont pu, sur cette base, sélectionner le modèle mathématique qui permet de modéliser cette perception et l’imaginaire qui s’y attache.
«Il s’agissait ensuite de comprendre comment ce champ de conscience est lié à l’affect, aux émotions et à la motivation, mais aussi à la mémoire et aux intentions», explique David Rudrauf. Le concept d'«énergie libre» a été utilisé pour quantifier les préférences et valeurs individuelles.
Réalité virtuelle : Une fois les composantes théoriques définies, elles ont été introduites dans des programmes informatiques. «Nous travaillons à les coupler avec de la réalité virtuelle afin de reproduire un environnement spatial, temporel et affectif aussi proche que possible du nôtre, note David Rudrauf.
Les chercheurs peuvent ensuite faire des prédictions de comportements en jouant avec les mécanismes du modèle, afin de le perfectionner et de le rapprocher toujours plus de la conscience humaine. Un travail de longue haleine.
»Nous avons également pour objectif d’orienter progressivement la recherche vers des modèles de psychopathologie«, ajoute le Pr Rudrauf. »Nous avons par exemple découvert que si nous privons le modèle d’imagination, il se comporte comme une personne atteinte d’autisme, ce qui nous permet d’orienter la recherche sur l’importance de l’imagination et de ses mécanismes spécifiques dans la prise en charge de cette maladie".
Ces résultats, publiés dans le Journal of Theoretical Biology, montrent qu'en intégrant la temporalité, la spatialisation et les émotions, ce modèle permet de prédire efficacement un vaste ensemble de comportements humains connus et de comprendre leurs mécanismes. Il reste toutefois beaucoup de travail pour réussir à reproduire à l’identique la conscience humaine, conclut l'UNIGE.
Les chercheurs travaillent maintenant sur une extension de l’algorithme afin de produire des machines qui pourront s’adapter aux réactions de leurs interlocuteurs et agir selon un principe de réciprocité empathique. Ces travaux pourraient déboucher sur des applications dans la robotique, l’intelligence artificielle ou le domaine de la santé.