Devenus adultes nous découvrons que nous sommes toujours vus comme des enfants (qui ont grandis certes) par nos parents. Ils continuent généralement à vouloir nous prodiguer des soins et des conseils sous diverses formes et à déverser sur nous leurs attentes angoissées nous concernant. Nous les aimons et cependant nous conservons avec eux beaucoup de contentieux liés d’une part à quelques situations inachevées de notre enfance et d’autre part à une évolution, à des croyances différentes sur de nombreux points, à des valeurs qui ne sont plus les mêmes, à des comportements parfois opposés face à l’éducation des enfants, aux choix professionnels, aux engagements politiques ou des choses plus triviales ou prosaïques qui font le quotidien, comme le choix de tel frigidaire ou de telle voiture, sur la vêture des enfants, leur scolarité, la façon de se tenir à table etc.
Pouvoir parler, échanger, mettre en commun avec ses parents est toujours une aventure risquée, car ils se sentent responsables de notre bien être, impliqués par notre réussite ou nos échecs, concernés par notre bonheur et surtout par tout ce qui peut remettre en cause cette vision idyllique de la vie ou leur image de “bons parents”. Tenter de partager nos interrogations, nos doutes ou quelques unes de nos péripéties sentimentales ou autres de notre vie, c’est les inquiéter, les déstabiliser ou réveiller quelques culpabilités secrètes qui vont les assaillir et gâcher leur vieillesse.
« Je voudrais tellement parler avec mon père de ce qui m’arrive avec mon ami, mais je le sens si vulnérable. J’ai peur qu’il s’effondre ou se mette en colère en me disant qu’il m’avait assez prévenu. Alors je l’apprivoise, je lui pose des questions indirectes, je donne des exemples me concernant comme si c’étaient ceux d’une amie. Là il peut m’entendre et même me donner des conseils très utiles ».
Utiliser la contextualisation. C’est une façon d’actualiser notre vécu en replaçant les faits dans le contexte historique où ils sont survenus. Pouvoir dire à nos parents d’aujourd’hui, que c’est à l’homme ou à la femme qu’ils étaient à 30 ou 35 ans quand nous avions 10 ans, que nous nous adressons en fait. Mettre des mots sur tout ce qui a été retenu, refoulé ou déplacé, nous permet souvent de les rencontrer et de changer la relation. On ne peut changer nos parents, mais on peut changer la relation que nous avons avec eux.
Prendre le risque de la confrontation. Il ne s’agit pas de s’affronter, de vouloir convaincre, mais seulement de dire ce que nous sommes devenus aujourd’hui. «Le jour où j’ai pu dire à ma mère que je renonçais à me marier, après deux ans de fiançailles, j’ai compris que je n’aurais pas son approbation, que je blessais tout un rêve et que j’étais démunie pour l’aider à faire le deuil de ce gendre idéal qu’elle m’avait trouvé ».
Veiller à confirmer que le lien existe toujours, que ce lien ne nous attache pas, mais qu’il nous relie et qu’il peut être alimenté par des messages positifs. S’il est nourri saturé de reproches, de culpabilisation, d’injonctions (de tous les enjeux du Système S.A.P.P.E.) alors il s’appauvrit, se blesse, devient moins fiable. « Je me sens ta fille et je te vois bien comme mon père. Peut-être as tu remarqué que depuis quelque temps, je te renvoie systématiquement ce qui n’est pas bon pour moi venant de toi. Mais as-tu aussi relevé que j’amplifiais tout le bon, que je confirmais les bons moments passés ensemble ?»
Confirmer que la relation d’aujourd’hui a besoin de réciprocité. « Cela veut dire que je peux te parler, Maman, comme à une femme, avec la femme que je suis ! Que je peux avoir, Papa, des points de vue d’adulte qui sont différents des tiens, sans que tu te sentes pour autant un mauvais père, ni penser que tu as échoué avec moi…»
Éviter de remettre en cause leurs valeurs et leurs croyances. « Je sais, Maman, que tu es contre l’avortement. C’est pour cela que je n’ai pu t’en parler à l’époque où j’ai vécu le mien. Je savais que j’allais blesser tes convictions religieuses. Aujourd’hui le fait de pouvoir t’en parler, de te dire comment j’ai vécu cet événement, ce qu’il a représenté pour moi sans me sentir jugée ou rejetée me soulage, me rapproche de toi».
Se donner les moyens d’échanger, de partager avec eux, quand nous approchons d’un âge où il leur est arrivé quelque chose d’important. En établissant des reliances, des ponts ou des passerelles entre un événement de notre vie et de la leur au même âge, nous pouvons mieux entendre combien nous sommes parfois des enfants fidèles, porteurs de loyautés invisibles et tenaces. « J’ai découvert que j’ai fait une fausse couche, au même âge que tu avais, toi, quand tu as quitté Papa…»
C’est avec nos parents qu’il nous appartient de faire preuve de vigilance et même d’indulgence ou de patience si nous voulons vraiment éviter de se nous heurter ou d’entretenir quelques uns des autosaboteurs qui polluent notre vie. En particulier en les invitant de ne plus pratiquer “l’appropriation”, quand ils s’emparent de nos propos comme s’il s’agissait de reproches, qu’ils se rendent responsables de ce qui s’est (mal) passé ou pas passé, qu’ils s’imaginent automatiquement que c’est à cause d’eux que nous avons fait ceci ou cela, que nous avons divorcé ou échoué dans tel ou tel domaine. « Papa quand je tente de mettre des mots sur ce que j’ai vécu avec toi, ce n’est pas une accusation ou une mise en cause de ta personne. Si tu prends tout ce que je dis comme une attaque, je ne peux plus rien dire, je suis bâillonnée, interdite de paroles ! » Nous pouvons aussi passer à une proposition concrète : «Lorsque je te parle, je te demande simplement de m’écouter… je n’attends pas de toi une réponse, une solution ou une justification, mais juste ton écoute et si possible l’expression de ton ressenti du moment».