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Plusieurs écoles de Barcelone viennent de supprimer 200 livres de leur collection, dont la Belle au bois dormant et Le petit chaperon rouge, jugés «stéréotypants et sexistes». Une purge représentant un tiers de leur catalogue qui est un inquiétant premier pas.

 Une telle décision procède d’abord d’une méconnaissance du rôle des histoires en question, jugées «sans valeur pédagogique». Le petit chaperon rouge peut précisément se lire comme une façon de prévenir la prédation sexuelle pour les petites filles. Une leçon toujours utile à n’en pas douter. Dans son livre Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim avait montré combien les contes ont une utilité profonde dans la formation des jeunes esprits: ils montrent chacun à leur manière les difficultés auxquelles les enfants seront confrontés dans l’existence, et la façon dont il est possible de les surmonter.

C’est ensuite une incompréhension extrêmement inquiétante de ce qu’est la littérature elle-même: une exploration en pensée de toutes les turpitudes humaines, un récit des possibles où les plus noirs tréfonds de l’âme doivent avoir leur place. Une littérature uniquement morale est aussi stérile que pouvait l’être l’art officiel des nazis ou des communistes. N’autoriser que des textes qui sont des catéchismes de la morale du jour revient ni plus ni moins qu’à réactiver le projet de contrôle de la pensée qui avait dominé jusqu’à l’époque moderne.

L’institution d’une police de l’orthodoxie des livres est une régression majeure pour un Occident des Lumières qui s’était précisément bâti sur le refus du pouvoir théocratique sélectionnant les contenus orthodoxes et brûlant les autres. Elle n’a rien à envier au ministère de la promotion de la vertu et de la répression du vice instituée en Afghanistan par les talibans.

On ne rend pas les hommes vertueux en leur cachant l’existence du mal ou de l’erreur, mais au contraire en leur permettant d’aboutir à leur propre jugement : Il ne faut jamais craindre l’homme qui a beaucoup lu, mais tout craindre, selon la fameuse phrase de Thomas d’Aquin, de «l’homme d’un seul livre». Tout doit pouvoir être dit, écrit et lu. Imaginer que les citoyens ne soient pas capables, par la force de la raison et au moyen du débat argumenté, de choisir les options morales collectivement bonnes revient à nier la possibilité même de la démocratie.

Comment imaginer faire reposer un système sur le choix d’individus dont on nie la capacité d’opinion éclairée? On ne rend pas les hommes vertueux en leur cachant l’existence du mal ou de l’erreur, mais au contraire en leur permettant d’aboutir à leur propre jugement. Une civilisation qui commence à trier ses livres, quels qu’en soit les motifs, est en phase régressive. Ce geste est absolument similaire à celui qui fait interdire les Suppliantes d’Eschyle, changer la fin de Carmen ou censurer telle figure du passé comme Christophe Colomb dont certaines dimensions de la vie n’ont pas exactement collé aux canons moraux de notre XXIe siècle.

Notre monde devient sottement manichéen. Aidés par la complaisance ou la honte d’observateurs incapables de se dresser contre ceux qui prétendent incarner le camp du Bien, les élans purificateurs se font de plus en plus violents et décomplexés.

Hugo disait qu’ouvrir une école c’était fermer une prison. On peut craindre que supprimer des livres des écoles, et donc fermer leur savoir, soit la meilleure façon de finir par ouvrir des goulags. Notre société doit réagir face à la montée insidieuse des nouveaux censeurs, quelles que soient les louables intentions qu’ils affichent.
Source : lefigaro

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